Patriam Recuperare et Albert Kirchmeyer
KIRCHMEYER - JEUNEHOMME
Le père d'Albert - Adolphe Kirchmeyer (1863-1919)- est issu d'une famille de menuisiers, ébénistes, anciennement implantée en Alsace, (Thann, Ribeauvillé, Saint-Amarin). La descendance de Dominique Kirchmeyer et son épouse Agathe Baesler, arrières grands-parents d'Albert, s'installe dans l'Oise et à Paris.
Le grand-père d'Albert -Jacques Kirchmeyer- opte pour la nationalité française en 1872 après la défaite de la France et la perte de l'Alsace-Lorraine. Mais, il vivait déjà à Paris 13ème. Devenu ouvrier ajusteur, il s'y marie en 1853. Un frère de Jacques avait un visa pour New York mais il s'arrête dans l'Oise et s'y marie. Il meurt abattu par les prussiens à Rantigny.
L'Oise est aussi le terroir d'origine de la mère d'Albert : Julia Jeunehomme. Les deux familles s'y rencontreront.
Les Jeunehomme de longue date installés en Picardie (Beauvais, Mouy) connaîtront aussi les tourments de la guerre de 1870. Ils sont majoritairement des ouvriers, artisans attachés à la ville de Mouy et ses manufactures de draps : ils sont tisserands, tailleurs, sergiers... Mais ils comptent aussi des militaires.
C'est la génération des parents de Julia (Victor Jeunehomme et Séraphine Clément) qui rompt avec la vie ouvrière pour devenir commerçants, épiciers à Beauvais. Leur décès, alors que Julia est encore toute jeune, place celle-ci sous la tutelle de son frère. Elle vit en pension avant de venir s'installer à Paris, rue Monge.
Adolphe Kirchmeyer et Julia se marient à l'église Notre-Dame-de-la-Gare en 1892.
Albert Julien Kirchmeyer est né le 19 avril 1898 à Paris 17ème ; second enfant après André (1894-1915).
Au moment de la naissance d'Albert, les parents sont limonadiers et gèrent le "Restaurant de la Gare", ancienne brasserie alsacienne, où la famille demeure aussi. Le restaurant aux façades blanches, 6 place Péreire, est une bonne table où l'on parle beaucoup notamment "au premier étage" où les conversations politiques impriment déjà l'esprit du jeune Albert. Il y entendra parler de l'affaire Dreyfus. Les parents sont des républicains laïques (d'origine catholique) ouvertement dreyfusards.
Albert et son frère aîné André grandissent dans cette atmosphère.
Au moment de la Première Guerre Mondiale, André est mobilisé. Il décède aux Dardanelles en 1915.
Albert part le remplacer aux combats. Engagé volontaire pour 4 ans, de 1917 à 1921, par devancement d'appel. il intègre le 114ème régiment d'artillerie lourde à Vincennes. Il est mobilisé à Valence le 10 janvier 1917 et connaît le baptême du feu à Verdun. Il se distingue lors d'un épisode au Mont Kemmel où téléphoniste, il parvient à rétablir une ligne endommagée.
Il rentre à Paris pour le décès de son père en 1919.
Albert Kirchmeyer et sa mère, Julia, lourdement endeuillés, vendent la brasserie et quittent Paris pour Levallois-Perret (92). Ils habitent une petite maison, 33 rue Camille Pelletan. Albert obligé de travailler, ne fait pas d'études supérieures, devient clerc d'avoué en 1923 dans un cabinet attaché au Tribunal de Première Instance de la Seine. Cette expérience et une capacité en droit vont lui permettre de se proposer progressivement comme conseiller juridique et de devenir sociétaire de différentes affaires jusqu'à créer de petites sociétés ou un cabinet de conseil (1924, Société Droulin, Peltier et Cie, se chargeant de la cession de fonds de commerce ; 1927 Société Kirchmeyer, Coignat, Rousselle et Angoulvant ; Cabinet Kirchmeyer, 94 rue de Rivoli ; 1928 Société des Ciments de Verdun).
Certains sociétaires seront des membres de Patriam Recuperare comme le Colonel Gustave Eychène et Victor Bassot. Henri Manhès aussi qu'il connaît depuis au moins 1929.
En 1926, Albert Kirchmeyer épouse le 9 septembre 1926, Rose (Rosario) Vivès. D'origine catalane (Sort/Pyrénées), née le 7 août 1906, Rose est arrivée en France enfant, en 1914. Ses parents avaient probablement l'idée d'émigrer aux Etats-Unis mais ils restèrent à Paris. Le père est barbier coiffeur et il acquiert un salon de coiffure 9 rue du Louvre, quartier des Halles de Paris. Rose sera d'abord coiffeuse puis profitera de l'environnement des Halles pour devenir commerçante.
De leur union naît Hélène Kirchmeyer, enfant unique, née le 1er août 1928. La guerre d'Espagne et la Seconde Guerre Mondiale empêcheront Hélène de connaître sa famille catalane avant 1950 (celle-ci aura connu la déportation en camp de travail en Espagne).
Le couple divorce après-guerre.
Les année 30 voient Albert Kirchmeyer entrer en Franc-Maçonnerie. Son parrain d'initiation est le Colonel Gustave Eychène, figure paternelle pour Albert et avec lequel il organisera Patriam Recuperare. Albert est apprenti en 1932 à la loge les Travailleurs de Levallois-Perret, devient compagnon en 1934 et maître en 1935.
Il est engagé aussi en politique et appartient depuis 1928 et jusqu'en 1936 au comité radical-socialiste de Levallois-Perret.
Albert est toujours secrétaire de diverses sociétés. Il travaille pour les Messageries Hachette vers 1936 et devient chef de contentieux de la SAMDS (Société de l'Ancienne Maison Dunand-Frare et Seurat, 52 rue Lecourbe puis 27 rue Miollis) location de véhicules de commerce, utilisé par les éditions Hachette pour les livraisons. Ce lieu de travail a protégé les activités de Résistance d'Albert Kirchmeyer et de Patriam Recuperare.
La société SACAP est créée en 1937, 44 boulevard Henri IV à Paris, puis 123 rue Saint-Antoine en 1938, adresses d'Albert Kirchmeyer. Cette société servira de couverture aux activités de Résistance et aux tenues maçonniques clandestines de L'Atelier de la Bastille.
C'est au 123 rue Saint-Antoine, escalier A, 2ème étage, que naissent L'Atelier de la Bastille et le Comité d'Action Maçonnique, L.E.F. (Liberté-Egalité-Fraternité), La Ligue, Le Cercle et cette adresse servira encore de bureau à Patriam Recuperare après l'arrestation d'Albert Kirchmeyer.
Albert Kirchmeyer est mobilisé en 1939 au 224ème régiment de Travailleurs à Chantilly et démobilisé le 9 août 1940 avec le grade de brigadier.
La première réunion de Résistance a lieu le 24 septembre 1940.
Albert Kirchmeyer est arrêté par le commissaire David (Brigades Spéciales) au domicile d'Henri Manhès, rue de Rome, et en même temps que celui-ci, le 3 mars 1943. Il est emmené au dépôt de la Préfecture de Police de Paris, Quai de l'Horloge (cellule 52), puis incarcéré à la prison de la Santé le 6 avril 1943 (cellule 136 ter) avant d'être remis aux allemands et incarcéré le 30 avril 1943 au Cherche-Midi (cellule 3 puis 13, réservée aux fusillés au Mont-Valérien). Il subit des interrogatoires avenue Foch et peut-être rue des Saussaies. Il est finalement conduit à Fresnes début 1944 pour être déporté "NN", d'abord au camp de Royallieu, à Compiègne. Il est déporté ensuite à Buchenwald par le convoi du 22 janvier 1944 (matricule 42014, block 57) ; il est déporté à Mauthausen le 25 février 1944, affecté à Steyr le 8 mars 1944 puis Güsen le 6 avril 1945 (matricule 53848).
Il est libéré le 5 mai 1945 mais ne revient à Paris que le 31 mai 1945 après avoir convoyé officiellement trois valises du camp de Mauthausen remises aux autorités françaises.
Très lié à Louise Weiss, il lui confie son vécu de prisonnier et de déporté qu'elle romancera dans La Résurrection du Chevalier, Editions Albin Michel,1974.
Après guerre, Albert Kirchmeyer siège à l'Assemblée Consul-tative Provisoire, s'intéresse à la politique, participe aux associations de déportés, retrouve le Grand Orient de France, reprend son emploi à la SAMDS et se préoccupe en 1948 de l'homologation de Patriam Recuperare.
Mais il s'interroge aussi sur l'origine de son arrestation et la chute du réseau, supporte mal le climat d'après-guerre, quitte la Franc-Maçonnerie en 1949, puis la politique, rejoint la Société de Théosophie... Retiré du monde, il aime à se faire appeler "l'Ermite du Marais". Il décède en mars 1995.